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Des nouvelles d'Henry Vray

16 septembre 2014

Le barrage (cinquante ans plus tard)

 Pas plus qu'il ne survit dans la mémoire de ceux qui, encore au berceau, n'ont pu le connaître que par ouï-dire, je n'ai le souvenir de ce barrage fameux, avant qu'il n'ait endeuillé une ville entière, voilà prés d'un demi-siècle. Je me trouvais alors outre-mer, je ne lisais aucun journal de France et c'est par les ondes courtes, peut être Radio Monte-Carlo, q...ue j'ai appris la nouvelle, suivie d'une lettre rassurante de la tante de ma femme, chanceuse au point d'avoir emménagé peu auparavant dans une villa lointaine de la rivière retenue par ce barrage pour former un joli lac. Peut-être son époux, un corse sombre plutôt superstitieux, avait-il été alerté par quelque pressentiment ou un rêve prémonitoire, de ceux qui vous font sursauter la nuit debout dans votre lit ou vous éveillent au petit matin, hérissé, ébouriffé, couvert d'une sueur froide et malsaine.


   Lorsque, pendant nos vacances métropolitaines, nous fîmes escale chez la tante, elle nous raconta par le menu ce qui s'était passé, sans oublier aucun des détails qu'elle tenait de son amie la grosse Madame B. qui était aux fauteuils d'orchestre lorsque survint la catastrophe et en était sortie indemne - si l'on peut  ainsi dire de quelqu'un qui a tout perdu sauf sa vie et celle de sa famille.
Cette nuit de décembre était bien avancée. La pluie, incessante depuis bien des jours comme savent l'être, à l'image des tempêtes tropicales, celles qu'entraînent les dépressions de Méditerranée, marquait enfin un répit. Couchés, les enfants  dormaient et, devant la télé qui passait un film en noir et blanc, les parents faisaient presque de même lorsque retentit un énorme vacarme qui faisait penser à celle qu'engendre la vague d'un tsunami ou une éruption volcanique. Les murs vacillaient comme sous l'effet d'un tremblement de terre. Soudain, sans qu'on puisse échanger un regard, il n'y eut plus télévision ni lumière. Comme un linceul, une chape d'obscurité recouvrait toute chose, même les lampadaires de la rue et les maisons voisines. Monsieur B., un grand et gros maçon d'origine  piémontaise, tenta de rassurer sa femme. "C'est rien, lui dit-il, c'est l'orage. La foudre a dû tomber sur le transformateur. Je vais voir". Pour bien s'en convaincre, il sortit mais revint aussitôt, de l'eau jusqu'au genou, en criant de sa voix d'opéra : "C'est le barrage!". Il avait en effet goûté au creux de sa main un liquide sale qui s'écoulait de l'amont vers la mer. Il avait compris qu'il ne s'agissait pas d'un raz-de-marée, comme il l'avait d'abord cru. En criant "En haut! En haut! En haut!", les bras en l'air et son gros ventre en avant, il poussa son épouse dans l'escalier qui menait aux chambres en tenant à la main une lourde masse trouvée dans son atelier. Il s'en servit pour crever le  faux plafond, casser tuiles et entretoises et finit par obtenir un trou d'homme par lequels tous passèrent, lui le dernier.

 La nuit s'acheva sur la toiture, sous un ciel purgé de ses nuages et seulement  peuplé d'étoiles dont la modeste clarté d'une nuit d'hiver révélait un spectacle effrayant. Muette et effrayée, toute la famille voyait déferler un flot énorme, une gigantesque vague d'apocalypse, d'une trentaine de mètres, plus haute, je vous le jure sans l'ombre de la moindre exagération provençale, que celles qui sévissent parfois au Pays du Soleil Levant. Des gens passaient, prisonniers du courant, appelaient à l'aide en se débattant dans le chuintement terrifiant d'une eau qui les  emportait comme fétus de paille, avec des blocs de roches et d'énormes quartiers de béton armé.. Puis on ne voyait ni n'entendait plus rien, jusqu'au groupe suivant de naufragés promis à la noyade, hurlant, suppliant qu'on les sauve. Ils semblaient être vomis par un géant, avant de disparaître dans le fleuve de suie qui  courait. Aucun sauvetage n'était possible de la part de ceux qui, échappés des griffes du monstre, avaient grimpé sur la berge et, cessant de se boucher les oreilles, n'entendaient plus alors que le bruit sourd du choc des madriers contre des troncs d'arbres ou des pans de murs entiers. On avait bien compris que le barrage avait "cassé" et on était bien heureux d'être tous encore en vie.
Descendus du toit par une échelle restée accrochée à une gouttière, les époux B. purent trés vite constater que le petit jour tenait les promesses de la nuit. De leur quartier d'ouvriers très simple mais assez joli seules étaient encore debout leur maison et une grande bâtisse en pierres de taille surnommée la "maison brûlée" parce qu'au siècle dernier elle avait vaillamment défié un gigantesque incendie de forêt. Un rapide inventaire leur révéla l'étendue du malheur qui les  frappait. Le flux avait tout dévasté, fait exploser les portes et les fenêtres closes, soulevé le parquet, entassé cul par dessus tête les meubles disjoints, la télé, tout l'électroménager, même la vaisselle qu'ils retrouvèrent dans  la salle de bains. Plus rien d'utilisable dans cet innommable capharnaüm. Fido, le bâtard adoré des enfants, avait disparu de sa niche. Le jardin ne se portait pas mieux, avec ses arbres déracinés et ses légumes noyés dans la gadoue. A l'extérieur, c'était encore pire. A perte de vue,dans la plaine où se dressaient coquettement des petites maisons acquises sou par sou, ce n'était qu'une immense chappe de boue où l'on peinait à reconnaître carcasses de voitures, fers à béton et parpaings, le tout entassé, écrasé, concassé avec des restes de mobilier. On eût dit des oeuvres de César.

 Mais il y avait plus grave. Des cris de douleur perçaient les lueurs de l'aube, comme au lendemain d'un jour de bataille s'élèvent le cris de blessés qu'on avait cru morts. Les pompiers étaient déjà là et les marsouins arrivaient, tous armés de pics et de pelles pour dégager les rues en attendant l'arrivée des premiers secours. Avec l'aide des survivants ils dégageaient de leur gangue des  enfants, des femmes et des hommes surpris dans leur sommeil, aux membres déjà raidis. On faisait un tri sommaire des morts et des blessés, les uns dirigés vers une  chapelle ardente, les autres vers l'hôpital où des bouteilles d'eau minérale servaient à nettoyer leurs plaies car le réseau d'eau potable était détruit. Partout des cris, des pleurs, des bras qui se tordaient. Certains étaient agenouillés prés d'un cadavre, d'autres, en en retournant certains, cherchaient à reconnaître un parent ou un copain de pétanque ou de pastis.
Comme les autres rescapés les époux B. cherchèrent à se rendre utile, mais dans la chapelle ardente où en attendant d'être identifiés sous le contrôle d'un médecin légiste, des corps étaient entreposés vaille que vaille, ils ne reconnurent personne, comme soulagés, comme ils l'avaient été lorsqu'ils n'avaient pu mettre un nom, au  bord du  fleuve noir, sur des faces tordues par l'agonie dans un affreux rictus, après avoir sorti de leur tombeau liquide des malheureux dont les membres en émergeaient, raides comme de petits arbres que la tempête n'avait pu abattre.
Cela dura des semaines, après lesquelles fut fait un décompte macabre plus de deux cent cinquante morts, pas loin de mille blessés graves, sans compter les disparus. Seul avait résisté au cataclysme, avec la Maison brûlée et le logis des B. l'amphithéâtre romain qui semblait être parti pour une nouvelle éternité, avec ses moëllons abondamment rincés, liés par un béton dont le secret n'a jamais été percé.

 Puis, poursuivait la tante relayant Madame B., la vie avait repris son cours. La vie avait repris son cours, la catastrophe avait ému bien des gens, surtout ceux qui, en France comme ailleurs en Europe, de Clermont-Ferrand jusqu'en Norvège, avaient passé des vacances heureuses au soleil glorieux de Méditerranée et, lorsqu'il faisait rarement moins beau, s'en allaient en famille visiter le barrage en voûte, gloire de la région, dont le lac de retenue couleur azur donnait naissance - "non Mossieu, je n'ezagère pas!"- donnait naissance à des cataractes auprés desquelles les chutes du Niagara et du Zambèze n'étaient rien du tout. Les dons en espèces affluaient, comme les offres de voyages et même d'adoptions d'orphelins, dont pourtant aucune ne fut acceptée car la solidarité nationale produisait ses effets et on a sa fierté en Provence. Après la catastrophe née de la destruction de l'ouvrage, la rivière dont il était né se transforma en Pactole roulant ses pépites d'or. Les époux B. n'eurent rien à regretter puisqu'après une enquête sommaire où leurs déclarations de pertes furent, sans la moindre preuve, tenues pour argent comptant, ils devinrent propriétaires d'une trés belle villa neuve, luxueusement meublée, pourvue de tout le confort moderne. Comme il se doit, cela fit des envieux chez ceux qui avaient échappé à la catastrophe et la tante en était à se demander pourquoi elle n'avait pas eu la "chance" des époux B.

 Que reste-t-il aujourd'hui du beau barrage, cette cathédrale de béton immense qu'en  famille on allait visiter comme les japonais vont découvrir la Tour Eiffel?D'énormes blocs de béton et de ferrailles entremêlés dans la garrigue et un trés modeste ru qui rejoint la Méditerranée, canalisé entre deux parois où, parmi les  hautes herbes, on peut voir de patients pêcheurs à la ligne qui ne prennent pas grand-chose. Il s'estompe, le souvenir du lac d'où l'on sortait des prises magnifiques qu'on pesait et mesurait en rentrant à la maison. Du géant il ne reste que des ruines que le touriste fuyant le bord de mer escalade pour cueillir des fleurs, ignorant du désastre. Pourtant il subsiste encore dans quelques mémoires d'autochtones. Certes peu savent encore que l'architecte en chef concepteur de l'ouvrage n'a pas été jugé car il a mis fin à ses jours au cours de l'instruction préparatoire;quelesubstitut chargé du dossier en a fait une dépression nerveuse. Mais personne, comme si on en faisait une affaire personnelle, n'est prêt à admettre que le barrage était défectueux. J'en ai même entendu qui disaient: "c'est pas le barrage qui a  cassé, c'est la montagne qui a lâché. Té, elle était tant mouillée qu'elle a glissé comme une savonnette!". En oubliant qu'une simple étude des sols aurait évité le  malheur, devenu  légendaire, qui  avait vu le géant débonnaire se réveiller de sa fausse torpeur et devenir fou furieux en inondant des  espaces habités d'un limon aussi fertile que celui de l'Egypte, ce fameux don du Nil. Ils sont aujourd'hui peuplés, à la saison, là où les enfants jouaient devant des maisons, du rose des pêchers en fleur. Après s'être vengée de l'ambitieuse folie des hommes, la nature a repris ses droits.Telle est la sinistre, la triste, l'épouvantable histoire de la rupture du barrage de Malpasset .

 
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16 septembre 2014

Diogène

  • Des nouvelles d'Henry Vray
Diogène
Il est, au bord de la Grande Bleue, un être étrange, un inconnu. L'été, il fait fi de la marée humaine qui se déverse sur la plage, ourlée d'écume et d'une rangée continue de parasols. L'hiver, il est le dernier à déserter le sable, lorsque le jusant des touristes fait place à leur reflux, le laissant seul face à l'horizon dont il reste l'unique propriétaire. Il ne parle jamais à quiconque, garde l'oeil perdu dans ses rêves, à moins peut-être qu'il ne dialogue avec Phébus ou les nuages qui le cachent.

Dès le début du printemps, sur la plage ou je pêche le capricieux poisson, je le vois arriver, les cheveux en broussaille, dans son slip délavé, décati par l'usage bien qu'il ne se baigne jamais. Il est grand, fort maigre, ses côtes saillent comme celle d'Anatole, squelette    de salle de sciences naturelles, et sa face est ornée d'une moustache surmontant un toupet de barbe. Il ressemble à Don Quichotte qui aurait cessé de ferrailler contre les moulins. Il arrive, portant à son côté une besace crasseuse qui contient peut-être un casse-croûte ou un bouquin, bien que je ne le voie jamais manger ni lire. Lorsqu'il arrive, il passe près de moi sans me saluer puis, foulant le sable à grand pas de ses longues jambes maigres, l'homme finit par s'arrêter à bonne distance, toujours au même endroit, comme s'il répugnait au moindre contact avec l'espèce humaine. C'est alors qu'il déploie une petite rabane sur laquelle il s'assied dans la posture du lotus, puis s'absorbe dans la contemplation du soleil et de la mer presque déserte à cette heure. Vers Midi, il replie son modeste attirail et repasse derrière moi pour s'en aller.

Jour après jour, le manège se répète et je suis intrigué par le mystère de cet inconnu qui m'émeut par sa misère que je devine. Un jour, voulant lui être agréable, je lui proposai l'ombre de mon parasol. Mal m'en prit car la seule réponse que j'obtins, fusant de sa bouche courroucée, fut: "S'il vous plaît, ôtez-vous de mon soleil!" Je me gardai d'insister et, les jours suivants, me contentai de mesurer les progrès de son hâle. En septembre, ce fut une statue de chocolat qui ressemblait à "l'homme qui marche" de Giacometti. De Robinson, il était devenu le noir Vendredi, sur cette île imaginaire où il n'admet personne.
L'été ayant pris fin, s'enfuirent les hirondelles que sont les estivants saoûlés de soleil, de chaleur et de lumière. Sur la plage où le poisson avait grossi, je restais seul avec mon inconnu. Puis, un jour de tempête d'équinoxe où le loup "donnait" fort, je constatai son absence et il ne revint pas.

C'est dans les rues presque désertes de la station balnéaire que je le revis un jour d'hiver, emmitouflé comme un esquimau, avec aux pieds les tongs de l'été. Il avait l'air aussi absent que sur la plage, croisait les rares passants sans avoir l'air de les voir et, les yeux levés, semblait chercher le soleil de l'été derrière les gros nuages pareils à de lourdes mamelles grises. Je le suivis, toujours aussi intrigué, et entrai sur ses pas à la médiathèque municipale. Caché derrière une étagère d'ouvrages à emprunter, je me surpris à l'épier. Il choisissait un livre puis un autre cinq minutes plus tard. Ce manège se poursuivit toute l'après-midi et je me demandai s'il était venu là pour lire ou bien se chauffer, le dos à un radiateur. ll avait l'air béat sous la chaleur artificielle, un air de stoïcien qui sait se contenter de très peu.

Je ne sais toujours pas qui est cet homme, bien que j'aie vaguement entendu parler d'un rmiste paresseux qui préfère les secours de la société à un quelconque emploi. Peut-être est-ce lui? Je ne cherche pas à le savoir. Faute de connaître son nom je lui ai donné un sobriquet. En souvenir des quelques  mots échangés quand je lui offris de l'ombre, il m'arrive de murmurer: "Tiens, voilà Diogène!" lorsque je le vois arriver sur la plage ou le croise sur un trottoir, car je ne suis pas loin de le prendre pour un philosophe.
Sans doute un jour ne reverrai-je plus mon inconnu, qui se nourrit de chaleur et de soleil et apaise peut-être ses appétits terrestres en fouillant dans les poubelles lorsque ses "allocs" ont pris fin, comme le Mahatma vivait du lait de sa vache et de son fuseau de laine. Peut-être, lorsqu'il sera mort dans son tonneau de chêne, sera-t-il devenu un satellite de son cher soleil? Dans la nuit froide semée d'étoiles je pourrai imaginer, en voyant filer  un astéroïde, qu'il s'est consumé, comme Icare s'est brûlé les ailes en voulant trop s'approcher de l'astre qu'il chérissait.
28 mars 2014

l'aube des retraités

Le crépuscule est souvent l'aube d'un jour nouveau

(entendu dans  "les retraités du bout du monde",une émission d'antenne 2 sur les retraités français installés en Thaïlande

12 mars 2014

la jeune fille qui demandait du feu

L'homme était octogénaire mais ne paraissait pas son âge en dépit de sa démarche claudicante due à des pieds plats qui avaient aggravé les séquelles d'une mauvaise rupture du tendon d'Achille.Un sévère halux valgus complétait le tableau pour réduire encore son rayon de marche.Justement,il venait d'achever sa promenade d'un demi kilomètre et,se sentant un peu fatigué,il avait rebroussé chemin pour rentrer chez lui,heureux de retrouver bientôt son vieil immeuble où,trés vieux garçon sauvage,il était propriétaire d'un appartement mais ne saluait personne ,pas même son voisin de palier.Arrivé devant la porte d'accés à l'entrée commune,il fourragea dans ses poches à la recherche du trousseau de clés et finit par trouver la bonne,(ce n'était jamais la première),puis l'engagea dans le bloc du verrou.Il se félicitait in petto de l'absence de  tout copropriétaire à saluer,lorsqu'il entendit derrière lui une voix qui n'était pas celle de l'un de ces médiocres mais d'une jolie jeune fille d'environ dix huit ans.Elle était sans doute d'origine magrébine,mais largement frottée aux charmes del'Occident,des vêtements et chaussures de luxe récupérés aux soldes,des produits Séphora.Ses cheveux d'ébène étaient lâchés en longue crinièreet ,ses lèvres  à peine.teintéesa et ses sourcils légèrement soulignésPas l'ombre d'un foulard islamique.

La cigarette au bec,elle lui disait:"Vous avez du feu?"avec un sourire avenant.qui pouvait presque passer pour une invite.Il allait répondre par la négative,tant  était lointaine l'époque où avait cessé son addiction au tabac,lorsque,fouillant machinalement ses poches,il découvrit dans l'une un vieux briquet oublié et le tendit à la jeune femme

11 mars 2014

La jeune fille qui demandait du feu

L'homme était  octogénaire sans paraître  son âge en dépit de sa démarche claudicante due à des pieds plats et un halux  valgus qui avaient aggravé les séquelles d'une d'elles d'mauvaise rupture du tendon d'Achille en limitant à moins de 5OO mètres le rayon de ses promenades¨.Il revenait justemenent de l'une d'elles .Il se sentait un peul las et il était heureux à la perspective de retrouver bientôt son vieil immeuble familiet dont i'aimait que les murs,car il n'était habité que par des gens  sans importance qu'il ne saluait même pas.Justement ce jour -là le trottoir était désert et il n'avait même   à faire semblant de n'avoir pas reconnu ses voisins.

 

 

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23 février 2014

Julie,rue de Rivoli

Charles-Henri ancien ambassadeur de France à Rome,y a pris,sa retraite.Ce qui suit est le recueil de ses souvenirss de

Philippine.

"J'ai toujjours connu Philippine.Son père et moi étions élèves du même lycée parisien.Nous avons étudié ensemble à

Sciences Po et c'est la même année que nous avons intégré l'ENA.J'ai toujours voulu devenir ambassadeur de France

Mon rang de sortie le permettant,j'ai obtenu le poste de mon choix,en Asie,en Afrique;enfin à Rome où j'ai déposé mes

bagages avant d'y être admis au "bénéfice" mélancolique de la retraite.C'est en effet là que je peux satisfaire ma

passion pour les "antiques";ces précieuses vieilles pierres.Mon ami,lui,n'avait pas eu la même chance,il fut affecté en

préfecture,dans les bourgades ravissantes que sontSaint-Brieuc,Vesoul et Bourg en Bresse,et autres localités froides

et humides.,tandis que je parcourais le monde.

Notre amit,solide,survécut à la séparation et nous avons réussi à nous revoir au moins une fois par an,pour les

vacances..

Mon ami avait épousé une trés belle femme,une diplômée de l'Ecole d'Athènes.Elle adorait son métier,mais dût le

mettre en sourdine lorsqu'elle mit aumonde deux jumeaux,Cyril et Philippine.Je les ai connus pratiquement à la

naissance,les deux bébés étaient magnifiques.On s'aperçut vite quela fille serait une beauté,une vraie merveille.

La blondeur fluide de sa chevelure fisit ressortir des yeux trés bleus,d'un bleu truquoise assurait son père qui adorait

ses enfants.Mais jem'abstiendrai de qualifier les sentiments que la mère leur portaitElle   se plaignait d'avoir dû

à cause de leur naissance puis de leur éducation, abandonner ses projets de grandes expéditions en Amérique

centrale.Acause d'eux,n'avait-elle pas dû laisser partir seule pour leMexique sa grande amie Magdaléna?

N'avait-elle pas  été obligée d'accepter unposte d'enseignante,un "métier" pour lequel ellen'avait qu'un profond mépris?

Ellemontrait une nette préférence pour Cyril,vient qu'il se révélatvite un enfant difficile,rebelle,prompt à martyriser

sa soeur,qui en dépit de sa nature indépendante ;lui pardonnait toujours tout.

J'au vu Philippine grandir enbeauté,en sensiblité et en intelligence à l'époque oùtoute la famille débarquait chez

moi

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

23 février 2014

Julie,rue de Rivoli

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

14 avril 2013

Mon père,les marbrés et les trois turcs

C"est à Bizerte que mon père,fervent amoureux de la pêche à la ligne,passait ses nuits du samedi au dimanche,quel que soit le temps.Instable  était son équilibre sur les rochers d'un brise-lames où l'avait débarqué un passeur arabe à la moustache de Saladin.Dés son retour il faisait un repas rapide suivi d'une sieste bienvenue que désapprouvait fortement ma mère,horripilée par les ronflements puissants que n'atténuait en rien la porte close de la chambre à coucher conjugale.Elle se plaignait d'être devenue veuve,du vivant de mon père qui la laissait seule jour et nuit,et j'abondais dans son sens car le petit garçon que j'étais savait qu'il serait privé de son père deux heures durant.Il me faudrait attendre tout ce temps,une éternité,avant qu'il ne se réveille et que je puisse enfin le suivre à la plage comme un petit chien fidèle et tenter,s'il était revenu plus ou moins bredouille de son escapade nocturne,remplir avec lui,à son image,le panier resté à peu prés vide à cause des souhaits de "bonne pêche!" de ceux qui'il avait croisés dans la rue,porteur de son attirail,car cette innocente amabilité porte malheur au pêcheur,comme chacun sait.

Je tenais toute prête  ma"ligne de fond" dont j'appris bien plus tard qu'en Provence on l'appelle palangrote et j'attendais,les nerfs à vif,que s'achève cette sieste stupide qui vraiment ne  rimait à rien,hachée par des râclements de gorge pareils à ceux d'un asphyxié,et qui s'achevait toujours par une énorme quinte de toux qui me faisait peur.Au réveil,mon père apparaissait dans l'encadrement de la porte,encore bouffi par le sommeil,dans le marcel et le caleçon qui en été remplaçait la chemise de nuit hivernale.Sa toux,disait-il,était la séquelle d'une "bronchite suspecte du sommet gauche" décelée par le major préposé à la visite médicale  de démobilisation.Cette bronchite,contractée lors du débarquement des Dardanelles,il en parlait si souvent qu'à la maison elle était devenue aussi célèbre que la Marne,Verdun,Foch,Pétain ou Clémenceau,mais ma mère,de l'air entendu de celle à qui on ne la fait pas,ne se gênait pas pour affirmer qu'il fallait l'attribuer aux  nocturnes équipées bizertines où mon père,trempé jusqu'aux os par la douche des vagues et des embruns glacés,avait attrapé la "crève".

Mon père laissait traîner les choses.Peu soucieux de savoir si sa scoumoune avait pris fin,il commençait par m'envoyer à la plage,en patrouille solitaire,pour décrypter le temps qu'il  y faisait."Va voir comment qu'elle est,la mer!".Pourtant il  savait bien,l'égoïste,presque le traître,que le "petit"(c'est ainsi qu'il m'a nommé,même devantles étrangers jusqu'aux premiers poils de barbe de ma quinzième anné)attendait avec une ferveur mâtinée d'angoisse le moment béni de l'accompagner et je courais à la plage de toute la vitesse de mes courtes jambes.

Parfois la Méditerranée faisait son cinéma d'enfant terrible,de mioche turbulent.L'affreuse tempête dressait ses crinières et noyait le sable fin qui ressemblait alors à une lagune.Les embruns rendaient invisibles les croupes bleues du Cap bon et de la colline de Byrsa.Je savais alors que c'en était fini de mes espoirs de pêche à la ligne et qu'il faurait attendre encore,peut-être jusqu'à dimanche prochain.En revenant d'un pas aussi lent que  mon coeur était lourd,j'avais envie de mentir en détestant ce père que j'aimais tant,mais je m'en abstenais car ma mère m'avait  inculqué la notion de péché.Puis ,baissant le nez,je faisais à mon père un rapport détaillé,aussi lugubre qu'un faire-part de deuil,mais iln'en avait cure et préparaît déjà l'anisette en attendant des invités,alors que je reprenais les fastidieuses occupations que me confiait ma mère,telles quele tri des lentilles charançonnées et le nourrissage des poules et des lapins.

Mais quelle était ma joie de trouver la mer complice de ma passion,sous un ciel cahotique, célébrant la fin d'un bel orage,retroussant sa toison grise depuis le large dans un frisson de tôle ondulée,sous un joli vent qui,loin d'embrouiller le fil de ma ligne  répandu surle sable,allait pousser le poisson  vers la grève.Je   revenais radieux,sifflotant la Paloma et d'autres rengaines sud américaines,sûr de ne pas avoir a exagérer un rapport favorable.Avant de repartir je débarrassais mes pieds du sable en les trempant dans la vaguelette qui achevait sa course,dorée,mousseuse comme un champagne de fête.Car les heures qui allaient suivre seraient enchanteresses,inoubliables,comme le sont toujours les joies fugitives,périssables,des enfants.

Tout commençait par l'amorçage des pièges barbelés, si traitres que parfois ils se plantaient dans mes doigts,à l'aide des appâts qui avaient survécu à la pêche de  nuit.C'était des "trémolines",des vers de vase au nom musical qui se trémoussaient dans leur berceau d'algue fraîche comme de petites cordes pincées par un joueur de mandoline.Puis je faisais tournoyer la monture au-dessus de ma tête et,dés qu'étaitsuffisante sa vitesse,je la lâchais pour la projeter "au large"(à dix mètres),à la manière d'un frondeur baléare de l'armée espagnole d'Hannibal,une jambe en l'air.Alors commençait l'attente,les nerfs en pelote et,sous ma chemisette,dans ma poitrine et jusque dans mes tympans,le tic-tac assourdissant de mon coeur  affolé

Il ne fallait pas se fier aux petits "tic-tic" qui n'étaient pas des touches,mais un simple prélude qui traduisait la tentative maligne du marbré pour s'emparer sans dommage de l'appât en tirant le bout de sa queue.Sa capture n'était certaine que lorsque,fou de désir,il finissait par l'"engamer",comme on le dit en Bretagne,c'est-à-dire par l'avaler.Au bout du fil tendu,on sentait alors des saccades persistantes,un pizzicato frénétique qui traduisait son combat contre la mort.

J'avais trouvé dans une vénérable encyclopédie la pédante appellation scientifique du "marbré"Ce nom de "pagel mormyre"était trés flatteur pour un poisson si commun sur les côtes méditerranéennes et pour le valoriser un peu plus j'avais remarqué que certains poissonniers n'hésitaient pas à le mettre en vente comme "dorade marbré",une vétitable insulte à la vraie dorade,celle dite "à sourcil d'or",aux éminentes qualités gustatives.Pas davantage ce pagel mormyre ne pouvait-il rivaliser avec le vétitable pageot,le pageot rose. au goût délicieux.

J'avais cru le marbré trés intelligent car on ne pouvait l'attraper,commele faisait mon père,qu'en donnant à la ligne de fond de courtes impulsions propres à exciter sa convoitise.Jusqu'àce qu'un jour je le découvre stupide ou trop curieux puisqu'il suffisait de bastonner la mer avec une canne pour le voir accourir au sacrifice en banc aussi serré qu'une pelote de sardines..Dés lors je trouvais bien plus intéressante la capture de la méfiante dorade,abondante par mer limpide et calme,comme celle du loup,roi des poissons nobles,à la gueule de Gargantua.Parfois,comme en rêve,je m'imaginais dans la soupe originelle au milieu de tous ces poissons,comme s'ils étaient mes cousins¨Pourtant je n'avais jamais entendu parler de Darwin ni de Lamarck.Tout cela ne m'empêchait pas,en vrai cannibale,de me régaler de la chair des membres de ma famille ni de traiter de "salaud" le marbré qui,à force de gigoter sur le sable,finissait par se décrocher avant de sortir complètement de l'eau.Eperdu,il irait sûrement prévenir ses congénères de la présence du cruel prédateur de la mer et du danger mortel qui les guettait.C'est pourquoi,en tremblant,je ramenais lentement mon fil pour ne pas perdre la prise dont j'avais deviné la tailleà la violence de ses coups  de queue.J'avais garni les trois hameçons et parfois ils avaient tous rempli leur sinistre office.Je voyais alors arriver sur le sable,en procession,trois éclairs d'argent vif dont la peau striée de gris rappelait celle du zèbre.J'avais oublié notre trés lointaine parenté lorsque je les voyais se débattre,de moins en moins fort à mesure que passait le temps,au fond du panier où se déroulait leur apnée fatale sans jamais fermer l'oeil,dans des goulées mortelles.Tout ça était trés loin de l'appétissante friture que j'imaginais déjà,aprés que ma mère ait dû en ronchonnant  écailler les poissons et les vider toute seule car mon père se se livrait jamais à ces basses besognes.

Parfois j'étais plus chanceux que lui et je l'entendais marmonner en crachant sa clope humide.Il disait "aux innocents les mains pleines" et j'étais partagé entre fierté et vexation devant son sourire faussement complice de concurrent malheureux.Souvent,hélas,la Méditerranée était aussi déserte que la Mer morte,le golfe de Carthage était devenu un grand chaudron d'or fondu par un soleil brutal.Père et fils s'ennuyaient fort en l'absence du Saint-Esprit qui couronne le pêcheur heureux dont Saint-Pierre est le patron.Le poisson avait sûrement rejoint la fraîcheur des abysses.Bientôt sonnerait l'heure du retour.C'est alors que  pour fuir la morosité ambiante,mon père,une énième fois ,se mettait à raconter le terrible débarquement des Dardanelles qu'il avait vécu.

Tout avait commencé par un voyage d'un moi s sur un transport de troupes,en direction de la presqu'île de Gallipoli,avec escale à Salonique et Alexandrie.La ,dans les bordels,le sergent de zouaves de vingt ans avait pu constater "de visu" que "les femmes l'ont toujours  de haut en bas,jamais en travers",ce qui initiait mon éducation sexuelle.Pendant la traversée,il avait fait preuve d'une incroyable résistance au tangage et au roulis en vidant les gamelles de haricots rouges des copains saisis par le mal de mer.C'était la juste compensation de l'impossibilté de pêcher du haut dubastingage.Il contestait l'échec du débarquement mais finissait par l'admettre en l'imputant à l'impéritie du commandement.D'ailleurs,n'aurait-on pas dû en écarter un certain colonel Lallemand,dont le seul nom était de nature à démoraliser la troupe?Les poilus,quant à eux,avaient été intrépides.De nuit,au sifflet,.comme un seul homme,ils avaient débarqué des chalands pour envahir les plages sans aucun soutien d'artillerie.Certains n'avaient pas pu quitter leur chaland,touché par l'une de ces "marmites" ,de gros obus tiréspar les turcs depuis Koum Kaleh qui en avaient fait une sorte d'engin  pyrotechnique semblable à ceux que je voyais,soleils de la nuit,illuminer la plage pour la fête patronale et le quatorze juillet.Tout ça m'intéressait beaucoup,bien qu'en fait de marmites,étudiant alors le Moyen-Age bardé de chateaux forts,je ne puisse y voir que des soupières pleines de plomb fondu ou d'huile bouillante.

Puis,joignant le geste à la parole,on père mimait les combats qu'il fallait livrer au corps à corps,baïonnette au canon,en escaladant les dunes balayées par la mitraille.Parfois il fallait pour s'abriter creuser à la pelle des trous dans le moindre monticule.Souvent,ce qu'on avait pris pour une taupinière était un cadavre mal enterré qui libérait une puanteur atroce,avec une gerbe de gaz et de sanie.Il insistait surtout sur un trés beau fait d'armes.Dans le feu du combat,il avait été séparé de ceux de sa section lorsqu'il fut cerné par trois turcs grimaçants.Son chargeur était vide et c'en était fait de lui s'il n'avait été saisi d'une inspiration aussi subite qu'héroïque.Dernier Horace face à trois Curiaces,il saisit son Lebel par le bout du canon et,se servant de la crosse comme d'une masse d'armes un chevalier du Temple au siège de Jérusalem .Il l'asséna tour à tour  sur le crâne des trois infâmes disciples de Mahomet alliés des boches.La massue improvisée,comme les galets qu'il s'amusait parfos à faire ricocher quand ça ne touchait pas,s'écrasa sur chacune des têtes par l'effet d'un moulinet dont la puissance était décuplée par l'énergie du désespoir.C'était comme à la pêche à la ligne de fond.Au lieu de mouliner de haut en bas,il suffisait de le faire de droite à gauche.Les trois turcs tombèrent comme chiffes molles,assommés.Sous le regard incrédule des camarades accourus,alertés par les cris,mon père put alors réduire les trois descendants de janissaires à l'état de brochettes de kebab.Chapeau bas!Tous les soldats français à lacapote bleu-horizon ôtèrent leur casque crênelé à crête de coquelet,tandis que tous les autres turcs s'enfuyaient au cri d'"Allah Akbar";avec des onomatopées qui devaient signifier,malgré leur fatalisme,qu'il était inutile de risquer sa peau face à des soldats chrétiens protégés par Dieu l'Unique et dont les baïonnettes devaient être ensorcelées.Et tout se termina par unebonne lampée de gnole,cet elixir des vainqueurs,à la santé des vaincus

Finalement  il restait peude choses des exloits guerriers demon père,à part l'affaire des trois turcs qui rachetait un peu le calamiteux débarquement des Dardanelles,bientot suivi de son rapatriement àl'Hopital militaire de Constantine qui lui avait laissé de bons souvenirs qu'il aimait bien partager.Il racontait volontiers qu'il y avait reçu,sous les draps de lit,des soins un peu spéciaux d'une bonne soeur infirmière,aprés cette "bonne blessure" qui lui avait épargné la mort glorieuse au champ d'honneur où il avait laissé de bons camarades.Puis il se mettait à parler de tout autre chose sous le regard furibond des "gros yeux" noirs de ma mère qui lui avait ordonné de cesser de parler de soeur Gabrielle.

Mais ily eut plus grave.Un jour où il faisait trés chaud,il déclara que la même canicule enfièvrait le champ de bataille,ce qui révoquait fortement en doute l'attribution à un refroidissement,. de la fameuse bronchite "suspecte",selon les dires de mon père.De là il n'y avait qu'un pas pour rendre tout aussi suspecte sa victoire dans un combat inégal contre des turcs  aux muscles de lutteur et à l'effrayante moustache.Enfin ma perplexité connut un paroxysme lorsque,au hasard de mes lectures,je découvris les aventures de Tartarin,chasseur de casquettes voltigeantes et d'imaginaires lions de l'Atlas.A cela s'ajoutaient certains comportements contradictoires de mon père.Resté non décoré,il méprisait ceux qui voulaient tirer parti de l'accomplissement  de leur simple devoir de français,fuyait comme la peste la commémoration du onze novembre,drapeau déployé,devant l'église,face à la Poste,voyait dans la Marseillaise une chanson malsaine qui exalte la guerre,et pourtant...il ne manqait jamais  d'aller chaque trimestre percevoir sa minuscule retraite du Combattant,cette sorte d'anarchiste passif.

Bientôt,à ma grande honte aujourd'hui,je me suis dit que mon père,plus que pour faire la guerre, était doué pour organiser,à l'occasion  de la fête patronale,le concours de pêche au marbré  où seraient récompensés le pêcheur du plus gros poisson,puis celui du plus grand nombre,enfin celui du plus petit.Je ne pouvais m'empêcher de penser que sa tendance à l'exagération  était déjà dans les gènes de son propre père,un forézien chassé par la pauvreté qui,avant de s'embarquer  pour l'Algérie,avait longtemps séjourné à Marseille,ville de grecs nés menteurs.Aujourd'hui,aprés bien des années,le regrette qu'un simple trou dans sa mémoire  ait pu me faire douter de son récit glorieux et,passé l'adolescence,d'avoir trouvé un peu ridicule sa passion pour la pêche que j'ai reçue en héritage avec tout son matériel.

12 avril 2013

pture n'étaita

Tout  débutait avec l'amorçage des appâts qui avaient survécu àl"infructueuse pêche de la nuit ,sur les pièges barbelés en acier qui parfois se plantaient dans l'un de mes. doigts.C'était des "trémolines";des vers de vase à l'odeur agréable,au nom musical,qui se trémoussaient dans leur berceau d'algue fraîche  comme des petites cordes pincées par un joueur de mandoline .Puis,la  faisant tournoyer plusieurs fois au-dessus de ma tête comme un frondeur  balèare de l'armée espagnole d'Hannibal,je lâchais brusquement la monture,projetée "au large",à une dizaine de mètres.,en  levant une jambe.Alors commençait l'attente,lesnerfs en pelote et dans mes oreilles et ma poitrine   le tic-tac assourdissanr de mon coeur.C'était alors l'attente.Il ne fallait pas se fier aux petits "tic-tic" qui n'étaient pas des touches mais ne faisaient que traduire un prélude,la tentative maligne du malicieux marbré pour s'emparer sans risque de l'amorce en la tirant par le bout de la queue.Car sa capture n'était certaine que lorsque,au bout du fil qui se tendait brusquement,l'on sentait des saccades persistantes,un pizzicato frénétique,un combat de la vie contre la mort.

J'avais découvertdans une encyclopédie du dix-neuvième siècle que ce poisson,commun sur les côtes méditerranéennes,portait le nom scientifique de "pagel mormyre",une appellation pédante pour "pageot marbré",bien que ses trés moyennes qualités gustatives soient lointaines de celles du pageot rosé.Je le crus suprêmement intelligent car on ne pouvait l'attraper,comme je voyais mon père le faire,qu'aprés avoir donné àla ligne de courtes impulsions pour exciter sa convoitise,jusqu'à ce que,n'en pouvant plus de faim ou de désir,il ne morde franchement.Puis un jour je le découvris stupide ou trop curieux   car je m'aperçus qu'il suffisait de bastonner la mer avec une canne pour le faire accourir en bancs presque'aussi denses.Bien plus intéressante,me disais-je alors,était la capture de la dorade au sourcil d'or,à la touche franche et brutale,abondante par mer calme et limpide,ou celle du loup,roi des poissons nobles,à la gueule monstrueuse.Bien que dans l'ignorance du transformisme  darwinien,je m'imaginais volontiers nageant dans la soupe originelle  avec tous ces poissons;comme s"ils étaient mes cousins..Mais,sortant de mon rêve,ilm'arrivait de traiter de salaud le marbré qui,gigotant sur lesable humide,parvenait à se libéber pour,éperdu,aller prévenir ses frères de la présence de l'affreux prédateur,du danger mortel qui les guettait.C'est pourquoi,en tremblant,je ramenais mon fil lentement pour nepas perdre ma prise dont j'avais deviné la taille à la violence de ses coups  de queue.Il y avait trois hameçons et parfois tous les pièges avaient accompli leur sinistre office etje voyais arriver à laqueue-le-leu trois éclairs d'argent vif à la  peau qui ressemblait un peu à celle d'un zèbre.Je n'avais aucune compassion pour leur apnée fatale,pour leurs goulées d'épileptique,lorsque je les voyais au fond du panier aspirer la mort  sans que jamais l'oeuil ne se ferme.

Parfois j'étais plus chanceux que mon père que je cherchais à concurrencer.Je l'entendais dire,un peu dégoûté,crachant une clope humide,avec un soutire résigné,faussement complice,"aux innocents les mains pleines" et j'en étais un peu vexé.

Parfois la Méditerranée était aussi déserte quela Mer morte.Le golfe de Carthage un grand chaudron où un soleil brutal fondait ses lingots d'or.Père et fils s'ennuyaient enl'absence du Saint-Esprit et de Saint-Pierre,patron des pêcheurs,les poissons ayant rejoint les profondeurs du large et sa fraîcheur.Pour tromper la morosité mon père,une énième fois,se mettait à raconter le terrible débarquement des Dardanelles qu'il  avait vécu.Il avait été précédé d'un voyage d'un mois sur un transport de troupes pour la presqu'île de Gallipoli.Le sergent du quatrième zouaves,orné de sa chéchia,avait d'abord fait escale à Alexandrie et à Salonique.Il y avait appris dans les bordels que,comme partout ailleurs ,"les femmes l'ont toujours de haut en bas,jamais en travers."Pendant la traversée,il avait fait preuve d'une incroyable résistance au mal  de mer.Au point ,juste compensation car on ne pouvait pêcher àla ligne,de dévorer les gamelles de haricots rouges des copains.Ilcontestait avec vigueur l'échec du débarquement puis finissait par l'admettre enl'attribuant à la seule incompétence du Haut-Commandement.N'aurait-on pas dû,par exemple,écarter un coloneldu nom de Lallemand?Les poilus,eux,avaient été intrépides.De nuit,au sifflet,comme un seul homme,ils avaient sauté des chalands  de débarquement pour envahir les plages.Certains,touchés par des "marmites",de gros obus expédiés depuis Koum-Kaleh par les turcs,devenaient des espèces d'engins pyrotechniques,des soleils pareils à ceux qui illuminent tout le ciel pour le quatorze juillet ou la fête patronale.Pour ma part,étudiant àl'époquele Moyen-Age et ses chateaux forts,je ne pouvais les comparer qu'à des soupières remplies d'huile bouillante ou de plomb fondu.

Puis mon père,gestes héroïques à l'appui,racontait lesduels qu'il fallait livrer,baïonnette au canon,en escaladant les dunes balayées par la mitraille.Parfois pour s'abriter ilfallait creuser à la pelle des trous qui ressemblaient aux bosses que font les taupes.C'était pour découvrir des cadavres mal enterrés d'où jaillissaient dugaz et une gerbe de pourriture.Surtout il insistait sur un trés beau fait d'armes.Le sergent,dans le feu du combat;s'était trouvé séparé de sa section au cours d'un assaut etne pouvait en espérer aucun secours,face à trois turcs qui le cernaient.C'est alors qu'il sortit de cette situation désespérée,saisi par un inspiration subite.Dernier Horace confronté à trois Curiaces,il saisit son Lebel par le bout du canon  et se servant de la crosse comme d'une masse d'arme un chevalier du Temple au siège de Jérusalem,il l'asséna sur le crâne des barbares disciples de Mahomet  alliés des infâmes boches..La massue,comme les galets qu'il s'amusait à faire ricocher sur l'eau lorsque ça ne touchait pas,s'écrasa sur les trois têtes,une à une;sous l'effet d'un  puissant moulinet animé par l'énergie du désespoir.Les trois turcs tombèrent,assommés,comme poupées de chiffon.Sousle regard incrédule des camarades attirés par les cris il embrocha un à un les descendants de janissaires.Chapeau bas!.tous les soldats à la capote bleu horizon ôtèrent le casque crénelé comme d'une crète de coquelet,tandis que les autres turcs détalaient au cri d'"Allah Akbar!" et autres onomatopées qui devaient avoir pour sens,en dépit de leur fatalisme,que ça ne valait pas la peine de risquer  sa peau en  se battant  contre des soldats  chrétiens protégés par Dieu l'Unique et dont les baïonnettes étaient ensorcelées.Tout s'acheva par une bonne lampée de gnole,cet elixir des combats.

Mais,à part ce récit enflammé,il restait peu de choses des exôits guerriers de mon père.Pas de pension d'invalidité pour celui  dont des éclats d'obus avaient endommagé une épaule et fracassé les cartilages de son nez,resté souple comme une chiffe molle.Tout juste une minuscule retraite d'ancien combattant que chaque trimestre il allait religieusement percevoir,à défaut de la moindre décoration.Pourtant il n'avait que mépris pour ceux qui cherchaient à monnayer l'accomplissement de leur simple devoir de français et fuyaient comme lapeste le frisson quelui donnait  la Marseillaise et qu'il traitait de chanson malsaine car elle exaltait la guerre.Finalement,de cette guerre,je n'avais retenu que l'histoire des trois turcs transformés en brochettes de kéba qui rachetait un peu le calamiteux débarquement qui pour mon père fut rapidement suivi du rapatriement à l'hôpital militaire de Constantine  qui semblait lui avoir laissé d'excellents souvenirs.Il racontait en effet que sousles draps une bonne soeur lui prodiguait des soins un peu spéciaux en sa qualité  d'infirmière.Il ajoutait bien volontiers que cette "bonne blessure"lui avait épargné la  gloire de mourir au champ  d'honneur où il  avait laissé beaucoup de bons copains.Mais il finit par cesser de raconter ses exploits paramilitaires à proximité d'oreilles innocentes,car avec le regard furibond de ses "gros yeux" noirs,ma mère lui avait intimé l'ordre d'arrêter de parler de soeur Gabrielle.

26 mars 2013

triste printemps

La pluie,le vent,scandés par tant d'éclairs et  de roulements de tonnerre,ont fait dans mon jardin tant de ravages qu'il n'y reste que quelques modestes fleurs d'hiver bien qu'on soit déjà au printemps.C'est pourquoi j'ai voulu profiter,en  cette saison bizarre,du spectacle de la plage au bord de la mer immense.Hélas,jen'ai trouvé prés de l'eau ,de place en place,que des monceaux de graviers et ,en bordure du chemin,d'énormes tas de sable rapporté que bientôt les engins de chantier répandront pour remplacer la grève emporté par les ouragans.Ce sable est terreux.Où seront les brillants éclats de mica qui  lui faisaient mériter  le nom de plage au sable d'or?

Mais non!Je me suis trompée.Le mirage de ma mémoire me montre  à présent,sur le sable  scintillant,deux petits bonnets de marin,l'un rouge,l'autre bleu,qui détalent.Des bambins les portent;l'un trés hâlé,l'autre presque pâle,ils pataugent dans les flaques en riant,puis un coup de vent emporte leurs chapeaux vers l'horizon.En cherchant à les repêcher;ils s'éloignent du bord,Je les vois flotter au gré des vagues,puis ils disparaissent,sûrement noyés.

C'est alors que des pleurs d'enfant me font tourner la tête.Cette fois,c'est une bébé qui hurle dans son landau que pousse une petite jeune femme brune.Elle cherche à le rassurer,car il a peur de la mer.Puis cette image se brise,je ne vois plus qu'une voiture,avec,écrasée sur le volant,la tête de la jeune femme..Tout à disparu,de cette jeune mère,de ses trois enfants.Ilne reste plus,fiché dans le sable,qu'un énorme tronc d'arbre venu d'on ne sait où.Peut-être a-t-il été jeté là par des flots furieux aprés avoir navigué longtemps sur des fleuves,sur des mers,aprés avoir été arraché à la terre pour porter le gréément d'un navire?Je n'emploierai pas pelle  ni rateau pour déterrer ces souvenirs qui me brisent le coeur.Tous sont partis,le bonnet blanc,le bonnet rouge,le bébé qui hurle de peur  dans son landau et la jeune femme qui le pousse en tentant de le rassurer.Les enfants sont des hommes,aujourd'hui devenus pères.La jeune femme  repose dans une urne discrète.

"O douleur,le Temps mange la vie,et l'obscur ennemi qui nous ronge le coeur du sang que nous perdons croît et se fortifie".Ce n'est pas moi qui ledis,c'est Baudelaire.

France

 

 

 

 

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Des nouvelles d'Henry Vray
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