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Des nouvelles d'Henry Vray
25 septembre 2012

UNE GRAND'MERE CORSE(UN AMOUR DE JEUNESSE)

S'il est vrai que l'Homme esr structuré à vingt ans,il  se déconstruit dés sa soixante dixième année.Ses sens le trahissent ,surtout sa memoire des faits récents.Cependant demeurent  les souvenirs de sa jeunesse,de son enfance le plus souvent entourée d'affection.On les croyait enterrés,perdus dans les sables mouvants de la vie active,lorsqu'ils ressurgissent par les nuits insomniaques,comme une chaîne de précieuses perles fines,un collier aux multiples grains qui défilent dans la mémoire,sans qu'il  soit besoin de la solliciter.J'en ai fait l'expérience,de ce  théâtre d'ombres,avant d'être engloutie par le sommeil qui faisait disparaître ma grand'mère  de cette scène où elle tenait l'un des  plus beaux rôles.

Moi qui fus orpheline de père à l'âge de  quatre ans je n'ai pas connu mes aïeux paternels ni la chaude ambiance familiale décrite par la contesse de Ségur née Rostopchine.La guerre  n'y fut sans doute pas étrangère.En ce temps-là chacun se repliait sur lafamille la plus proche,lecouple et ses enfants.Pas de cousins ni de cousines avec qui faire des bêtises.On  était trop heureux de survivre à au jourd'hui.Je n'ai même pas connu,autrement que sur photo,mon grand'père maternel,un  huissier qui portait beau,avec sa carrure et sa barbe fleurie,originaire de l'Allier.Il était mort en laissant dans une vraie misère sa nombreuse famille qui devait se contenter,pour son repas,d'un quignon de pain rassis  trempé dansl'huile d'olive,et parfois donner le  change en cognant de la cuillère sur l'assiette pour faire croire aux  voisins  qu'on était en train de manger.C'est ainsi que dût grincer des dents une famille dont le chef avait croquéI des raisins encore verts.Il était  mort  assez jeune,ce grand'père,sans avoir pu rétablir une situation financière de catastrophe,volé par l'un de  ses clercs,victime de sa trop grande bonté qui lui faisait payer les dettes de gens qu'il avait le  devoir de saisir,vaincu par la maladie qui avait été une sorte de délivrancePourtant,de son vivant,il avait fait bâtir une belle villa pour  chacun de ses enfants,membre d'une sorte de tribu dont il était le chef patriarcalAucune ne résista à la faillite,toutes furent vendues aux enchères publiquesCet huissier peu banal avait eu une vie conjugale exemplaire,trés prolifique puisque  le couple qu'il formait avec ma grand'mère ,corse d'origine,enrichit la démographie française de sept sujets sur neuf nouveaux-nésElle était trés fière de l'amour que lui portait son mari et allait jusqu'à affirmer qu'il  lui suffisait d'öter son pantalon pour qu'elle soit enceinte.Ces accouchements;un tous les deux ans,étaient trés naturels puisque,sous le contrôle d'une matrone qui servait de sage-femme,la mère se délivrait en poussant sur une chaise percée munie d'un couffin puis était saluée par des you-yous poussés par les mouquères du  voisinage.Ma grand'mère gardait un souvenir ému de ce temps de peu d'exigences où les fatmas retiraient le travail de ses mains qui restaient toujours blanches et avaient des maris qui se faisaient respecter  autant qu'ils étaient impressionnés par la profession de mon grand'père,sa toque et sa robe noires,lorsqu'il assistait  le juge de paix  à lacompétence aussi étendue qu'était fournie la longue moustache du magistrat quiprésidait l'audience,entouré de l'interprète et du chaouch à la tenue bleue rehaussée de glands dorés.

Cest de cette grand'mère que devait hériter ,si l'on peut ainsi parler de son arrivée,ma mère qui était aussi désargentée qu'elle.Elle était âgée d'environ soixante quinze ans,moi d'un certain nombre d'années;cinq peut-être;lorsqu'elle prit ses quartiers  dans notre appartement.Ce dont je suis sûre,c'est qu'elle nous quitta à quatre vingt trois ans et j'en déduis qu'elle partagea notre vie jusqu'à ma treizième année,celle de mes premières règles.Elle n'eut pas à souffrir de la présence d'un gendre,mon père,qui tira sa révérence,emporté par la maladie,peu aprés son arrivée.Cela valait mieux car il ne supportait pas sa présence,ce père dont jen'ai comme  souvenir que celui d'un grand malade en pyjama  rayé qui quittait rarement son lit ou sa chaise longue qui sert encore à mon mari.

Dés que j'eus l'âge de raison,j'ai compris qu'elle était devenue l'âme de la maison  cette femme trés originale.Pour suppléer ma mère qui faisait bouillir la marmite,elle s'était mis en tête de s'occuper du ménage,mais c'était souvent à trois heures du matin car sa vue trés basse  lui faisait confondre la petite et la grande aiguille du réveil. Pourtant jamais elle ne voulut admettre son infirmité et refusa toujours l'offre de  lunettes que lui faisait ma mère,fatiguée de voir son sommeil écourté et des bleus  qu'elle constatait sur les jambes de grand'mère Marie qui avaient rencontré quelque meuble.

J'adorais cette femme qui me le rendait au centuple,voyant en moi la beauté parfaite d'une princesse de rêve.Elle se 

 

serait fait tuer pour moi.En attendant,lorsque ma mère me menaçait du martinet,c'est elle qui en recevait les coups en me faisant un rempart de son corps menu.Lorsque nous étions seules elle m'enchantait en me racontant des épisodes de sa vie;bien plus colorée que ne l'était mon existence morose de petite orpheline à laquelle  ma mère n'avait pas le temps de compâtir.C'était le cas de son mariage à Marseille,aprés qu'un bel inconnu l'ait demandée ,séduit par sa photographie.Un épisode pénible avait précédé,celui de la rupture de ses fiançailles.Poussée par  sa famille ,elle  avait accepté d'épouser un garçon qu'elle n'aimait pas,puis s'était ravisée.Comme il cherchait à l'embrasser sur la bouche pour sceller ces fiançailles,elle s'était enfuie dans l'escalier menant à la terrasse.Là;elle avait été rejointe par son promis.Emupar sa détresse,un genou à terre comme pour une déclaration d'amour,il  lui dit:"Mademoiselle  Marie,j'ai bien compris que vous ne m'aimez point,que vous ne voulez pas de moi.Mais je vous aime tant qu'en souvenir de vous c'est votre soeur que j'épouserai".Il y avait là de quoi  émouvoir la petite jeune fille que j'étais alors,mais ça continuait par le récit de bien des festivités aprés la bénédiction à l'église de la rue Paradis,de bals divers dont certains étaient masqués,enfin la description de sa fameuse robe "vert d'eau" dont j'avais peine à imaginer la couleur,à moins qu'elle  ne soit stagnante,putride et envahie d'algue microscopique..L'Alcazar,Mayol lui-même,avaient l'honneur de faire partie des évocations dema grand'mère.Puis un jour les lampions s'éteignirent et elle  monta dans le navire de la Compagnie de navigation mixte avec son mari,un jeune huissier  presque imberbe,pour rejoindre l'étude qui venait d'être créée sous les palmiers de Gabès.Là,elle avait été si heureuse que pendant douze ans elle  n'était plus revenue  dans cette France dont le souvenir s'estompait pendant qu'elle s'occupait de ses glorieuses maternités.Un jour,innocente,je  lui  demandai pourquoi,vraiment,elle avait eu tant d'enfants dans ce pays si chaud alors que,petite donzelle,j'avais pitié des femmes que je voyais trimballer leur gros ventre dans la rue.Ce fut pour me voir répondre:"mais,ma chérie,c'est parce qu'à chaque fois il me semblait que mon mari m'aimait davantage"puis  elle ajouta,avec un reste de coquetterie,"pense que tous les soirs,avant d'aller au lit,je m'aspergeais de parfums de Paris!"On était loin,à cette époque,de la pilule du lendemain et ces propos laissaient un peu songeuse celle qui n'avait pas encore lu le Dieu des corps de Jules Romains,le roman où tant de jeunes filles ont puisé  bien des connaissances.

Comme jel'aimais,cette grand'mère à la fantaisie si lointaine du sérieux,du bon sens et de  l'esprit pratique de ma mère,forgé par les hasards malheureux de la vie!Parfois,outrée par les mensonges et l'aplomb de grand'mère,elle  se demandait  s'il s'agissait d'innocentes affabulations ou,plus grave,de pure mythomanie,ce dont je peux témoigner.Un jour je demandai à Mémé  Marie qui soutenait mordicus  être native de Corse,quel village l'avait vue naître car j'étais un peu intriguée par ses intonations plus proches de l'accent pied-noir  que de celui de l'île de Beauté.Ce fut pour me  voir répondre que c'était Ajaccio,car  c'était le berceau de la famille du Petit Tondu.Elle n'était pas loin de se prendre pour une napoléonide,tant elle  insistait,fiérote,sur les nobles professions de sa parentèle:avocats,magistrats,hauts fonctionnaires,ingénieurs,enseignes de vaisseau dont l'un d'eux,avant d'achever sa carrière comme capitaine du port d'Ajaccio,avait fait le tour de la Terre,debout sur la dunette de grands vaisseaux.Je le crus jusqu'au jour où je fis la découverte de son livret de famille qui la portait comme  née à Stora(Algérie) ,peut-être d'un homme qui avait fui une terrible vendetta.Lorsque je lui en fis part,elle  prétendit que c'était une erreur,sans doute due à une malfaisance ou à l'ivrognerie d'un employé de l'Etat civil.

Parfois sa mégalomanie s'aggravait de violence.Dans son histoire de jeune femme mariée,elle avait eu la tête bien proche du bonnet et passait trés facilement de l'intention à l'acte.Sans montrer le moindre remords elle évoqua pour moi un incident resté fameux dans la famille.Sa belle soeur,pour recevoir  dignement Président,Procureur et leurs épouses,lui avait prêté un magnifique service  de table en porcelaine de Limoges,un soixante douze pièces de la série "Compagnie des Indes".Tout s'était admirablement passé mais ma grand'mère tarda beaucoup à le rendre.A  trois reprises elle le réclama  en vain,puiss se résolut à envoyer sa bonne.La voyant,ma grand'mère se précipita d'un pas vif dans la salle à manger où,sur la grande table,somnolait le fameux service de table.Elle en remplit une grande panière et jeta le tout par dessus le garde-corps du balcon.Dans un vacarme de grenaille ,de grenade offensive,le  service alla s'écraser sur celui de la belle soeur,juste à l'étage au-dessous.Pour tout commentaire;l'emprunteuse cria trés fort,en se penchant  dangereusement:"Ah,vous avez voulu qu'on vous rende votre service de table?Eh bien,le voilà!".Puis s'installa entre les deux femmes une brouille solide,définitive.Vingt ans plus tard,grand'mère,absolument impavide,évoquait ce pénible incident avec une justification imparable"On ne  réclame pas trois fois ce qu'on a prêté!".Et TOC!C'est ainsi que se manifestait l'inconséquence de celle qui d'ailleurs n'aimait  pas  plus ses belles-filles que ses belles-soeurs,toutes ces pièces rapportées  qu'elle devait soupçonner de nuire à la pureté du sang.Elle disait même,avec une lippe soupçonneuse,que pour les enfants de la fille,on pouvait être sûr,alors que pour  ceux des fils...Commej'étais l'enfant de l'aînée de ses filles,c'est sur moi qu'elle déversait son trop plein d'affection.

Mais ce n'était pas tout!Si elle  n'était pas corse en vertu du droit du sol,elle l'était sûrement par le droit du sang.De ce sang chaud,bouillonnant, qui lui faisait faire des bêtises dont elle s'amusait beaucoup,à moins qu'elles ne  soient la résurgence de vieilles superstitions,de ces temps où les bergers vêtus d'une peau retournée se racontaient  des histoires fantastiques,effrayantes,le soir,autour du feu allumé dans  une cabane de granit de village haut-perché,en mangeant du saucisson d'âne arrosé de mauvais vin.J'étais loin d'être rassurée lorsqu'elle me racontait des choses bizarres le soir,aprés m'avoir bordée dans mon lit.Ce n'était pas avec cette voie criarde qu'elle avait  en faisant retour du fameux service en porcelaine,mais avec des intonations caverneuses."Esprit,es-tu là?" disait Mémé avec des intonations caverneuses qui venaient de la pénombre."Si tu es un bon Esprit,tu peux  venir,mais si tu es  un mauvais fantôme,va-t-en!".Il me semblait entendre des réponses étouffées et le bruit de chaînes qui traînaient par terre.I c'était un bon Génie,elle lui disait :"Dis-nous où est l'OR",mais il disparaissait sans dévoiler la cachette,pendant que,grelottant de peur dans la chaleur étouffante du plein été,je fermais les paupières et tirais le drap sur ma tête.Je ne me calmais que,pour m'endormir,elle déposait un doux baiser sur mes yeux,comme si ellese repentait de son extravagance.Elle avait aussi la fâcheuse manie de me demander de voir si par hasard un voleur ne s'était pas glissé sous son lit.Parfois elle frappait le carrelage avec un manche à balai pour faire croire à l'approche d'un être maléfique,par exemple d'un  pirate unijambiste.Je me réfugiais alors dans le lit de ma mère qui,trés positive ,soupirait:"C'est encore Mémé!"..Elle avait aussi la manie de frapper le carrelage de sa chambre avec un manche à balai pour faire croire qu'un être maléfique,un pirate unijambiste par exemple,voulait entrer dans l'appartement pour nous égorger.Je me réfugiais alors dans le lit de ma mère qui,trés positive,soupirait :"C'est encore Mémé!"Pourtant cette grand'mère si affectueuse qu'elle me réservait  toujours une brioche,un morceau de gâteau ou une barre de chocolat  ne cherchait jamais à contribuer à  mon instruction ni à mon éducation d'enfant gâtée,pas plusqu'elle ne l'avait fait avec ses propres enfants,surtout les fils.N'allait-elle pas,chaque matin,faire la tournée des lits des garçons pour savoir ce qu'ils désiraient manger à midi;à  demander aux filles de cirer les souliers de leurs frères,jusqu'à ce que ma mère se rebelle en disant à l'un d'eux:"tu peux me tuer,je ne le ferai pas!".Jamais elle ne m'expliqua un mot rare ou difficile,jugeant sans  doute le savoir inutile pour les filles.Un jour,parlant d'une connaissance qui avait l'air d'un voyou,elle affirma qu'il avait été "joyeux",sans préciser qu'il s'agissait d'un ancien délinquant enrôlé de force dans le Bataillon d'Afrique,à Foum Rataouine.Ces silences,ses approximations que je prenais pour de l'ignorance n'allaient pas sans me perturber.

Année aprés année je vis sa vue baisser sans qu'elle consente à se faire examiner,son état général se dégrader sans la moindre consultation médicale.Presque aveugle,son seul bonheur semblait de rester assise sur mon lit,muette,pendant que je faisais mes devoirs à mon petit bureau.Ca me crevait le coeur ,de constater  qu'elle  avait perdu sa fantaisie  d'antan.Presque autant  que lorsqu'on lalaissait seule pour aller passer le dimanche dans la famille  car ma mère voulait me fairerespirer l'air pur d'une jolie banliieue.Nous avons dû cesser ces escapades en apprenant qu'en notre absence Mémé Marie appelait le robba Vecchia,le brocanteur arabe ,pour lui vendre  pour quelques centimes nos affaires presque  neuves.Parfois,à notre retour,des voisins nous signalaient qu'elle se mettait à la fenêtrepour pousser des cris inarticulés.Le seul souvenir  exempt de tristesse que je garde de sa finde vie est celui d'une danse.Sa nièce lui avait taillé à grands coups de ciseaux une robe "neuve" dans une couverture,et je la  revois,rajeunie,les bras en corbeille,tournoyant comme une ballerine.

Je n'ai pas assisté à  sa mort car,pressentant mon chagrin,ma mère m'avait éloignée pour que jen'assiste pas à ses derniers instants.L'appartement était vide lorsque je suis revenue du lycée.Pendant des années,incapable de surmonter l'angoisse de la solitude,j'y ai déposé mon cartable pour m'enfuir aussitôt  et retrouver ma mère sur son lieu de travail.

J'ai aujourd'hui  plus de soixante quinze ans,l'âge de Mémé  Marie lorsqu'elle se mit à partager ma vie.Son souvenir est toujours vivace.Faute de pouvoir ressusciter celle que j'aimais tant,celle qui m'avait réservé une place exclusive dans son coeur,j'ai fait  agrandir et améliorer une photo  de  sa jeunesse.Elle trône à présent dans ma bibliothèque,ma grand'mère corse.Pourtant jamais nous n'avions osé  nous montrer notre affection,en nous enlaçant,debout,à l'américaine.En nous disant "je t'aime",comme  semblent le faire,dans une bave écumante,deux escargots qui s'accouplent.

 

 

 

 

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