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Des nouvelles d'Henry Vray
5 octobre 2012

La nounou sans papiers(comment devenir française pour l'amour d'un bébé)

."Dépêche toi de te lever!Va donner son biberon à Georges!",criait de sa voix haut-perchée,désagréable,Sonia Dubois,une récente divorcée,à  Vladivitsa,une jeune moldave qui venait de Roumanie,peut-être une Rom pourchassée.Elle était furieuse d'être en retard pour se rendre à son bureau de cadre et s'apprétait à sortir aprés avoir enfilé un jean moulant,des bottes de mousquetaireet sa veste en cuir rouge.Elle allait se mêler à la foule de la rue et du prochain Métro,à longues enjambées conquérantes  de femme moderne qui,non seulement ne fuit pasl la bagarre,mais parfois la  recherche.Avec sa coiffure étudiée de Dessange,sa crinière rousse, son profil aigu et ses yeux écartés,elle avait quelque chosede la gent chevaline.Lorsqu'elle portait des tenues excentriques et bariolées,on eût dit  un mustang  tacheté échappé de chez les Amérindiens,car elle se foutait pas mal du qu'en dira-t-on,cette femme qui voyait dans la provocation une marque d'autorité

Son autoritarisme avait été pour une large part la cause de son divorce d'un brave type assez queutard mais pas trop,ce qui s'expliquait autant par lesmoeurs actuelles que par les diktats de son épouse qu'il ne supportait plus . Un jour il prit le large sans l'avertir,ni même lui disputer la garde du bébé lors de la procédure.L'enfant dût donc être confié une nounou au pair.

"Tu vas te lever,feignasse!" reprit Madame Dubois de sa voix vinaigrée car rien ne bougeait.C'est alors  que du rideau d'une penderie obscure qui était sa chambre à coucher sortit une jolie brunette d'une vingtaine d'années,décoiffée par le sommeil de la nuit,si profond à cet âge,et la patronne disparut en claquant sauvagement la porte.

Tout le jour  la moldave restait seule avec Georges,un beau poupon ma foi,et ne s'en plaignait pas.Son  instinct maternel précoce ,parfois contesté chez la femme,en faisait une excellente mère de substitution.Elle le bécotait sans cesse,,le pressait sur son coeur,le lavait dans sa mini-baignoire en plastique,mêlait ses "a-re' aux siens,le nourrissait à heure fixe en faisait soigneusement alterner biberon et petits pots survitaminés,changeait sa couche-culotte lorsqu'il braillait trop fort,sans la moindre grimace  car ses déjections étaient bénies comme le sang du Christ orthodoxe.Au point que l'enfant lui réservait ses risettes et se mettait à hurler,comme s'il voyait le diable,lorsque vers vingt heures apparaissait l'étrangère qui n'en pouvaitplus d'avoir discutaillé des heures,en ces tempsde crise, ,avec des clients mal embouchés pour se défendre de les avoir mal conseillés dans leurs placements.

Avec un "ouf!" de soulagement,madame se  déchaussait  péniblement en demandant del'aide,acariâtre,puis filait à la salle de bains pour une douche tiède.Elle en sortait avec pour tout vêtement un peignoir blanc  douillet,celui qu'elle aimait tant.Puis elle réclamait son repas.C'était toujours le même,un plat préparé de chez Picard,bienfaiteur des ménagères en pointillé,plus ou moins exotique.Vlada,c'était le nom qu'elle avait donné à l'employée de maison  faute de pouvoir retenir celui de Vladivitsa  qui lui paraissait barbare et pas assez snob,faisait réchauffer la nourriture qu'elle partageait avec la patronne ,tout en se tenant derrière sa chaise comme dans les grandes maisons.Avant de s'endormir dans des draps de soie bleue qui caressaient son corps,Sonia déposait un baiser furtif,le premier et le dernier de la journée,sur le front de son enfant,lui aussi repus aprés un dernier rôt,envolé sur les ailes du sommeil.Elle avait entre temps   réduit au silence sa télé ,aprés avoir longuement  et vainement zappé pour trouver un policier  encore inconnu.C'est alors seulement que Vlada pouvait rejoindre le réduit qui lui servait de chambre,aprés avoir rangé jusqu'au lendemain seaux,serpillières et balais.

Ainsi se déroulaient invariablement les journées de Vlada,travailleuse immigrée.Elle ne sortait jamais,et pour cause,car elle était  sans papiers.Six mois plus tôt  elle était arrivée de sa  Moldavie roumaine pour,àParis,faire carrière dans le cinéma.C'est un barbeau kosovar qui était à l'origine de tout.Il avait longtemps suivi comme un loup suit le mouton avant de l'égorger la bande  rieuse de copines  dont elle faisait partie ,dansà les rues de Cristinau,presqu'aussi laides que la Bucarest de Ceaucescu.Un jour il aborda celle qui lui paraissait être la plus bête pour leur  proposer de les présenter toutes à des metteurs en scène  de cinéma.Toutes y avaient cru.Aprés avoir embrassé en pleurant de tristesse et de joie leurs pauvres paysans de parents,en leur promettanr de leur envoyer de l'argent pour soulager leur misère,elles étaient parties,munies de faux visas,sous la houlette de l'homme de Pristina qui les entassa dans un vieux taxi à destination de l'Europe la plus  occidentale,sans même préciser au troupeau de jeunes oies quel pays c'était.Il est vrai qu'il avait  de quoi impressionner,le spécialiste du recrutement de stars du septième art,avec son bagoût  de polyglotte de trottoir,son collier d'or et ses grosses bagues qu'il disait provenir de ses gains d'agent de spectacles.Elles furent débarquées,suivant l'homme comme les apôtres Jésus,sur un trottoir crasseux du quartier Montparnasse,dans un  joli salon d'hôtel  où elles ne virent aucun réalisateur de cinéma.Là,il leur fut révélé ,en jouant avec un révolver,qu'elles étaient en sécurité sous la protection d'un grand frère ou presque qui leur expliqua,en confisquant, leurs passeports,qu'elles n'en auraient plus jamais besoin  car on attendait d'elles tout autre chose que de tourner des films.Elles feraient quelque chose de beaucoup plus facile qui était de faire la pute dans des chambres d'hôtel pouilleuses,sous la direction du kosovar qui les surveillerait du coin de l'oeil au détour de la rue,puis,aprés avoir modulé le prix de la passe selon la situation de fortune apparente du client,leur demanderait des comptes en fin de semaine.C'est ainsi que Vladivitsa eut à satisfaire beacoup  d'hommes en retard d'affection,des noirs,des jaunes,des basanés,mais aussi des pères de famille dont leurs femmes ne voulaient plus.

Cela dura un temps,jusqu'à ce que le beau maquereau se fasse abattre sur un trottoir par un rival qui voulait sa place et c'est ainsi qu'elles furent débarrassées sans le vouloir de leur prédateur et s'envolèrent aux quatre coins de Paris comme une  volée d'étourneaux,ces volatiles auxquels elles ressemblaient beaucoup.

Elle était libre,enfin,Mais que  faire de sa liberté quand on est sans le sou,sans ami,sans connaître personne car elle n'avait jamais revu l'une de ses compagnes.Elle en était presque à regretter son exploiteur.Son bonheur fut bref car on lui avait parlé de la rigueur des lois françaises sur l'immigration clandestine et,en cas de contrôle au faciès,elle n'aurait même pas pu montrer son passeport que le kosovar avait dû ranger dans sa besace en cuir véritable,percée de balles,avant qu'elle ne roule au caniveau.Mais plus question  pour elle de revenir sur le trottoir où,à chaque passe,elle risquait le sida avec des types qui lui proposaient un tarif de princesse pour ne pas se protéger.Elle mit donc à la poubelle sa tenue de belle-de-nuit qui découvrait ses fesses au-dessus  de ses jambières et ses seins sur son estomac qui n'avait plus faim .Pour manger quelque chose elle faisait les containers d'ordures.Elle tentait  d'inspirer la pitié,son fichu sur la tête,dans sa vieille robe paysanne aux passants qu'elle croisait,mais,comme  leur nom l'indique,les passants,ça  passe... et leplus souvent c'était sans s'arrêter.Pourtant ,tant elle  méprisait  les gens du voyage,comme on méprise toujours plus pauvre que soi,elle se refusait à tendre la main.

 

 

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