Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Des nouvelles d'Henry Vray
12 avril 2013

pture n'étaita

Tout  débutait avec l'amorçage des appâts qui avaient survécu àl"infructueuse pêche de la nuit ,sur les pièges barbelés en acier qui parfois se plantaient dans l'un de mes. doigts.C'était des "trémolines";des vers de vase à l'odeur agréable,au nom musical,qui se trémoussaient dans leur berceau d'algue fraîche  comme des petites cordes pincées par un joueur de mandoline .Puis,la  faisant tournoyer plusieurs fois au-dessus de ma tête comme un frondeur  balèare de l'armée espagnole d'Hannibal,je lâchais brusquement la monture,projetée "au large",à une dizaine de mètres.,en  levant une jambe.Alors commençait l'attente,lesnerfs en pelote et dans mes oreilles et ma poitrine   le tic-tac assourdissanr de mon coeur.C'était alors l'attente.Il ne fallait pas se fier aux petits "tic-tic" qui n'étaient pas des touches mais ne faisaient que traduire un prélude,la tentative maligne du malicieux marbré pour s'emparer sans risque de l'amorce en la tirant par le bout de la queue.Car sa capture n'était certaine que lorsque,au bout du fil qui se tendait brusquement,l'on sentait des saccades persistantes,un pizzicato frénétique,un combat de la vie contre la mort.

J'avais découvertdans une encyclopédie du dix-neuvième siècle que ce poisson,commun sur les côtes méditerranéennes,portait le nom scientifique de "pagel mormyre",une appellation pédante pour "pageot marbré",bien que ses trés moyennes qualités gustatives soient lointaines de celles du pageot rosé.Je le crus suprêmement intelligent car on ne pouvait l'attraper,comme je voyais mon père le faire,qu'aprés avoir donné àla ligne de courtes impulsions pour exciter sa convoitise,jusqu'à ce que,n'en pouvant plus de faim ou de désir,il ne morde franchement.Puis un jour je le découvris stupide ou trop curieux   car je m'aperçus qu'il suffisait de bastonner la mer avec une canne pour le faire accourir en bancs presque'aussi denses.Bien plus intéressante,me disais-je alors,était la capture de la dorade au sourcil d'or,à la touche franche et brutale,abondante par mer calme et limpide,ou celle du loup,roi des poissons nobles,à la gueule monstrueuse.Bien que dans l'ignorance du transformisme  darwinien,je m'imaginais volontiers nageant dans la soupe originelle  avec tous ces poissons;comme s"ils étaient mes cousins..Mais,sortant de mon rêve,ilm'arrivait de traiter de salaud le marbré qui,gigotant sur lesable humide,parvenait à se libéber pour,éperdu,aller prévenir ses frères de la présence de l'affreux prédateur,du danger mortel qui les guettait.C'est pourquoi,en tremblant,je ramenais mon fil lentement pour nepas perdre ma prise dont j'avais deviné la taille à la violence de ses coups  de queue.Il y avait trois hameçons et parfois tous les pièges avaient accompli leur sinistre office etje voyais arriver à laqueue-le-leu trois éclairs d'argent vif à la  peau qui ressemblait un peu à celle d'un zèbre.Je n'avais aucune compassion pour leur apnée fatale,pour leurs goulées d'épileptique,lorsque je les voyais au fond du panier aspirer la mort  sans que jamais l'oeuil ne se ferme.

Parfois j'étais plus chanceux que mon père que je cherchais à concurrencer.Je l'entendais dire,un peu dégoûté,crachant une clope humide,avec un soutire résigné,faussement complice,"aux innocents les mains pleines" et j'en étais un peu vexé.

Parfois la Méditerranée était aussi déserte quela Mer morte.Le golfe de Carthage un grand chaudron où un soleil brutal fondait ses lingots d'or.Père et fils s'ennuyaient enl'absence du Saint-Esprit et de Saint-Pierre,patron des pêcheurs,les poissons ayant rejoint les profondeurs du large et sa fraîcheur.Pour tromper la morosité mon père,une énième fois,se mettait à raconter le terrible débarquement des Dardanelles qu'il  avait vécu.Il avait été précédé d'un voyage d'un mois sur un transport de troupes pour la presqu'île de Gallipoli.Le sergent du quatrième zouaves,orné de sa chéchia,avait d'abord fait escale à Alexandrie et à Salonique.Il y avait appris dans les bordels que,comme partout ailleurs ,"les femmes l'ont toujours de haut en bas,jamais en travers."Pendant la traversée,il avait fait preuve d'une incroyable résistance au mal  de mer.Au point ,juste compensation car on ne pouvait pêcher àla ligne,de dévorer les gamelles de haricots rouges des copains.Ilcontestait avec vigueur l'échec du débarquement puis finissait par l'admettre enl'attribuant à la seule incompétence du Haut-Commandement.N'aurait-on pas dû,par exemple,écarter un coloneldu nom de Lallemand?Les poilus,eux,avaient été intrépides.De nuit,au sifflet,comme un seul homme,ils avaient sauté des chalands  de débarquement pour envahir les plages.Certains,touchés par des "marmites",de gros obus expédiés depuis Koum-Kaleh par les turcs,devenaient des espèces d'engins pyrotechniques,des soleils pareils à ceux qui illuminent tout le ciel pour le quatorze juillet ou la fête patronale.Pour ma part,étudiant àl'époquele Moyen-Age et ses chateaux forts,je ne pouvais les comparer qu'à des soupières remplies d'huile bouillante ou de plomb fondu.

Puis mon père,gestes héroïques à l'appui,racontait lesduels qu'il fallait livrer,baïonnette au canon,en escaladant les dunes balayées par la mitraille.Parfois pour s'abriter ilfallait creuser à la pelle des trous qui ressemblaient aux bosses que font les taupes.C'était pour découvrir des cadavres mal enterrés d'où jaillissaient dugaz et une gerbe de pourriture.Surtout il insistait sur un trés beau fait d'armes.Le sergent,dans le feu du combat;s'était trouvé séparé de sa section au cours d'un assaut etne pouvait en espérer aucun secours,face à trois turcs qui le cernaient.C'est alors qu'il sortit de cette situation désespérée,saisi par un inspiration subite.Dernier Horace confronté à trois Curiaces,il saisit son Lebel par le bout du canon  et se servant de la crosse comme d'une masse d'arme un chevalier du Temple au siège de Jérusalem,il l'asséna sur le crâne des barbares disciples de Mahomet  alliés des infâmes boches..La massue,comme les galets qu'il s'amusait à faire ricocher sur l'eau lorsque ça ne touchait pas,s'écrasa sur les trois têtes,une à une;sous l'effet d'un  puissant moulinet animé par l'énergie du désespoir.Les trois turcs tombèrent,assommés,comme poupées de chiffon.Sousle regard incrédule des camarades attirés par les cris il embrocha un à un les descendants de janissaires.Chapeau bas!.tous les soldats à la capote bleu horizon ôtèrent le casque crénelé comme d'une crète de coquelet,tandis que les autres turcs détalaient au cri d'"Allah Akbar!" et autres onomatopées qui devaient avoir pour sens,en dépit de leur fatalisme,que ça ne valait pas la peine de risquer  sa peau en  se battant  contre des soldats  chrétiens protégés par Dieu l'Unique et dont les baïonnettes étaient ensorcelées.Tout s'acheva par une bonne lampée de gnole,cet elixir des combats.

Mais,à part ce récit enflammé,il restait peu de choses des exôits guerriers de mon père.Pas de pension d'invalidité pour celui  dont des éclats d'obus avaient endommagé une épaule et fracassé les cartilages de son nez,resté souple comme une chiffe molle.Tout juste une minuscule retraite d'ancien combattant que chaque trimestre il allait religieusement percevoir,à défaut de la moindre décoration.Pourtant il n'avait que mépris pour ceux qui cherchaient à monnayer l'accomplissement de leur simple devoir de français et fuyaient comme lapeste le frisson quelui donnait  la Marseillaise et qu'il traitait de chanson malsaine car elle exaltait la guerre.Finalement,de cette guerre,je n'avais retenu que l'histoire des trois turcs transformés en brochettes de kéba qui rachetait un peu le calamiteux débarquement qui pour mon père fut rapidement suivi du rapatriement à l'hôpital militaire de Constantine  qui semblait lui avoir laissé d'excellents souvenirs.Il racontait en effet que sousles draps une bonne soeur lui prodiguait des soins un peu spéciaux en sa qualité  d'infirmière.Il ajoutait bien volontiers que cette "bonne blessure"lui avait épargné la  gloire de mourir au champ  d'honneur où il  avait laissé beaucoup de bons copains.Mais il finit par cesser de raconter ses exploits paramilitaires à proximité d'oreilles innocentes,car avec le regard furibond de ses "gros yeux" noirs,ma mère lui avait intimé l'ordre d'arrêter de parler de soeur Gabrielle.

Publicité
Publicité
Commentaires
Des nouvelles d'Henry Vray
Publicité
Archives
Visiteurs
Depuis la création 1 315
Publicité